22 juin 2006

Le langage de Dieu est le silence







" Salut, foi du silence des orants "

Ce qui veut dire : Toi, Mère de Dieu, qui es l’objet de la foi, qui es confiance, assurance de ceux qui prient en silence, des hommes silencieux, c’est toi l’écoute du silence de ceux qui prient. Et, tu es confiance et assurance des hommes silencieux, car tu es le vécu du silence, et de ce fait, la compréhension du silence de ceux qui prient. Il faut avoir vécu le mystère du silence pour avoir une oreille sensible au silence de l’autre ; de même que, pour vivre le silence, il faut avoir touché au mystère de la Divinité, avoir contemplé des visions, avoir approché les drames humains de très près, au point d’en faire son propre vécu, et les avoir partagés en compassion. Seule notre propre Nation, ainsi que son Église, en leurs meilleurs moments, ont pu concevoir et exprimer, dans la profondeur sans apprêt de ces quelques mots, le mystère du silence de la Mère de Dieu et de la relation intérieure de celui-ci avec le silence des fidèles, de par l’état constitutif même de ces silences.






" Salut, foi du silence des orants "

Effectivement, mes frères, la foi du silence de ceux qui prient, à savoir la Mère de Dieu, est la personnification du silence. Quelle est la vie de la Mère de Dieu ? Un vaste et profond silence. La Très-Sainte Mère de Dieu a très peu parlé. Les Évangélistes nous ont conservé quelques paroles seulement, mesurées, prononcées par elle ; la plupart d’entre elles, qui plus est, ont été dites avant la naissance du Christ. Par la suite, tout est plongé dans un grand silence. Et comment pourrait-il en être autrement ? La Très-Sainte Mère de Dieu a prononcé, en son incarnation, le Verbe unique, celui prononcé une fois pour toutes, le seul, "le Verbe " qui " était au commencement ", celui qui " était auprès de Dieu ", Dieu le Verbe qui est. Que dire, après Lui ? Que dire, au-delà de Lui ? Que pouvait-elle dire, de plus que Lui ? Quoi d’autre, sinon le silence. En outre, c’est elle qui, sur cette terre, a porté ce que nul être, nulle existence humaine n’a jamais porté. Elle a porté, en son sein et dans ses bras, le feu de la Divinité. Que dire, et comment le prononcer, après un vécu à ce point inexprimable et inexplicable ? Quoi d’autre, outre le silence ? Vous êtes-vous, parfois, imaginé ce côté terrible de l’expérience de la Mère de Dieu, porter Dieu sur elle ? Vivre avec Dieu ? Se mouvoir, jour et nuit, avec Dieu ? N’être hors de Sa présence, ne serait-ce qu’une seconde et, qui plus est, de sa présence incarnée, tangible ?

Quel autre discours, plus que celui du silence, pourrait se montrer digne de ce mystère ? J’ajoute encore à cela, mes frères, que ce vécu paradoxal, être en même temps Vierge et Mère, a été le privilège unique de la Mère de Dieu. Et quelque chose de plus que cela : être une Mère hors de la raison humaine, celle dont la maternité touche au seuil du tragique. J’entends par là ce sentiment qu’elle éprouve : ce beau nourrisson qu’elle porte dans ses bras, cet enfant de toute beauté, est son enfant, et, en même temps, non, il n’est pas le Sien, il est le Fils de Dieu. Elle éprouve, au moment même de la plus grande tendresse maternelle, celle d’une mère comme toute mère, ce sentiment, étrange mais avéré : Son enfant part de Son sein, il s’en éloigne, il s’étend, il est Celui qui n’a point de lieu, c’est elle le lieu de Celui qui n’a point de lieu, " Plus-vaste-que-les-cieux ". Elle pose son regard sur le tendre regard enfantin de Jésus et, à cet instant même où elle l’y plonge, elle voit cet œil enfantin, qui, à première vue est joie et toute-lumière, prendre un autre aspect, devenir l’Œil de Celui qui voit tout, Son Dieu, Son Créateur. Je ne m’aventure guère davantage dans le drame de la Passion, comme dans le Mystère de la Croix, comme dans le Miracle de la Résurrection, ou encore la redoutable sérénité de l’Ascension ainsi que le feu de la Pentecôte. Tout conduit au même constat et à la même confession.

Quel autre être peut-il donc résister à cette grande épreuve : être si proche, si familier de Dieu, ainsi que l’a été la Très-Sainte Mère de Dieu, être, à ce degré, face à face ? Quoi d’autre peut-il résister à cela, sinon l’éblouissement, la contrition et le silence ? Plus nous approfondissons, nos frères, le Mystère de la Très-Sainte Mère de Dieu, d’autant plus clairement contemplons-nous et entendons-nous le discours du silence. Et non seulement cela ; nous découvrons même le divin dans le silence, dans la relation de Celui-ci à la création, sa relation à tout ce qui, en notre vie, comporte profondeur et grandeur. Cela est vrai ! Que de fois Dieu n’est-il pas silence ou encore, ne rend-il sa présence manifeste, présence que nous ressentons et entendons, dans le silence ! Jésus, que d’autre était-il donc, par-devant Pilate, sinon un grand silence, au moment précis où l’intellect devenu plus subtil du Préteur Romain, plein de curiosité et d’ironie fine, lui a posé la question : " Qu’est-ce que la Vérité ? " (Jn 18,38).

Et Jésus gardait le silence.

Le silence suit Dieu et accompagne la création. Le silence répand son charme sur le ciel constellé d’étoiles, sur la nuit, au-dessus des fleurs. Le silence couvre la terre, au moment où celle-ci tisse le printemps en son sein. Silence devant la grande joie ; silence aussi devant la peine profonde. Le silence descend en même temps que le rideau dans la chambre mortuaire de la personne que nous aimons. Le silence accompagne la sérénité intérieure ; il entoure la " lumière incréée ", élève l’homme spirituel jusqu’aux hauteurs de la prière du cœur. Le silence garde la porte du saint, la veille du sage, la décision du vrai martyr. C’est derrière le silence, et sous son couvert, que les grandes heures de l’Humanité sont préparées et accomplies. C’est dans la région du grand silence que se trouve, au demeurant, la plus grande partie de l’Humanité historique. Il s’agit de ceux qui se sont retirés de l’espace du discours.

C’est le silence de l’éternité.

En y prenant garde, nous voyons, que le silence est le compagnon de toute valeur d’importance en la vie. C’est le silence de la sainteté, le silence de la sagesse, le silence de la générosité, le silence de l’endurance, le silence de l’amour et le silence du sacrifice. Ô combien actuel est, pour nous, ce soir, ce rappel du silence saint par la silencieuse Mère-de-Dieu et, à quel point, son message nous est-il nécessaire en cette heure critique. Nous sommes à l’heure des paroles, par excellence. À l’heure des paroles nombreuses. Des paroles sans apprêt. Des paroles de vil prix. Des paroles que l’on achète. Et, vous savez que la contre-valeur de ces paroles, viles et en furie, est d’un grand poids et d’un grand prix. Elle est payée de la monnaie d’or du silence des autres. Elle est rachetée par la mise en vente et la perte de ce que nous avons de précieux. Autour de nous sont lancés et circulent des slogans sans apprêt, lesquels corrompent toute conception et avilissent les idéaux les plus sacrés. L’image de l’heure présente, telle que l’a décrite un sage contemporain parle d’elle-même. Elle ressemble, a-t-il dit, à la vitrine d’un magasin ; des objets de grand prix comme des objets à vil prix, y sont exposés, mais, la nuit, la main de quelque escroc habile, a changé les écriteaux indiquant les prix ; il a attribué les prix élevés aux objets de peu de valeur, et les prix bas aux choses chères. Dans un désordre tel des choses, nous devons résister à la tentation de la parole facile et pénétrer dans le domaine du silence, afin d’entendre la voix de Dieu, la voix de notre conscience, la voix de l’Histoire, celle de nos malheurs et de nos fautes du passé, et de pouvoir prêter l’oreille aux pas des événements qui viennent.


Voilà pourquoi, au lieu de proclamer, comme de coutume, la Parole de Dieu, j’ai préféré vous parler du Silence de Dieu. Cela, pour une autre raison encore. Pour le silence des orants. Les hommes silencieux sont nombreux, très nombreux. Ce sont ceux qui ne veulent pas, ou bien ne peuvent pas, ou encore, ne doivent pas parler. Ils sont nombreux, très nombreux ceux qui, ce soir, prient dans le silence. Sans oser dire leurs prières. L’Église des catacombes, l’Église du silence, n’a jamais été absente de la terre. Vous devez entrer en face de la présence du silence, pour la rencontrer, pour la reconnaître, pour la comprendre, pour prier avec elle, avec cette Église du silence.

Et en voici le moment, ici, maintenant, ce soir. Faites silence et priez. Ce soir, la silencieuse Mère de Dieu, entend le silence de ceux qui prient : " Salut, foi du silence des orants. Salut, épouse inépousée ".
Prononcé en la Cathédrale Saint Ménas d’Héraclion (Crète) au cours de l’office de l’Hymne Acathiste le 14 avril 1967. (Publié dans le volume " Chalkidonia " Mémoire du Métropolite Doyen de Chalcédoine Méliton Hadjis, 1913 – 1989, Athènes 1999, p. 449 – 453 (en grec) ) Traduction : Alexandre Tomadakis