15 octobre 2006

A tout je dis : oui !

L’attitude fondamentale du disciple est celle du Maître, elle tient en un mot : oui.

Mais « Oui » à ce qui est, c’est-à-dire la vigilance.
Tout ce qui est en moi et en dehors de moi, ici et maintenant, c’est Dieu qui frappe à ma porte.
Si je dis : « Oui », autrement dit si je suis en accord, en communion avec ce qui m’arrive, alors c’est toujours Dieu qui entre et se manifeste en moi (Ap 3, 20).

Nous sommes constamment dispersés, ailleurs, emportés, contrariés ou agressifs, parce que, plus ou moins consciemment, nous refusons la réalité, nous ne voyons que la réalité extérieure, la surface des événements, parce qu’elle nous déplaît et nous fait souffrir. Mais si nous sommes en accord uniquement avec ce qui est agréable, alors nous faisons un tri dans la vie et nous ne la rencontrons jamais dans sa profondeur.

Il est impossible de communier à l’éternité sans communier au temps qui la contient. On ne peut descendre dans la profondeur mystérieuse de l’océan sans traverser les vagues qui l’agitent à la surface. Le chemin spirituel est un état de communion, instant après instant, une adhésion inconditionnelle à ce qui est, au-dedans et en dehors.

C’est l’exigence la plus extraordinaire du Christ : l’amour des ennemis. Donc communier, devenir un avec la totalité de la vie, y compris avec ce qui nous est difficile, contraire et hostile. Le Christ a montré que l’on peut aimer même ce qui est le plus abject : la souffrance et la mort. Cela ne veut en aucun cas signifier que l’on approuve la souffrance et la mort, mais l’on se laisse aimer par Dieu à travers elles. Celui qui exerce la vigilance jusque-là découvre peu à peu un tout autre plan de conscience, tout change radicalement, il se sent guidé de l’intérieur, pas à pas, et la vie se manifeste à lui en plénitude, dans une paix et une joie indescriptibles. Son expérience sera celle de saint Paul et de tous les saints : Ce n’est plus moi qui vis, mais c’est le Christ qui vit en moi (Ga 2,20).

Cette traversée inconditionnelle de toutes les conditions que présente la vie au jour le jour, minute après minute, conduit à l’état non conditionné où nous sommes déjà des ressuscités.
Cela dépend évidemment de ma décision. Seule ma conviction de foi que Dieu est vivant à l’intérieur de tout et qu’Il vient à ma rencontre, même dans la pire des situations, me permet de l’embrasser avec amour et de communier à ce qui m’arrive. On ne s’imagine pas le Christ prendre « sa » croix à contrecoeur ou à reculons, en regimbant contre elle… Non ! Il s’étend librement dessus, Il accorde tout son être à elle. Il n’y a pas d’autre manière de prendre « notre » croix à chaque instant. Appréhendée de l’extérieur, la croix du Christ était une horreur aux yeux de tous, mais pour Lui elle était l’accomplissement de la volonté de son Père. Et cet accord total fait jaillir la Résurrection. Là est aussi notre « Chemin », qui est le Christ Lui-même (Jn 14,6). Tous les saints l’ont emprunté exclusivement. L’un d’eux, cité par saint Césaire, dit qu’il fondait tellement sa volonté dans celle de Dieu qu’il ne faisait rien sans son mouvement, ni dans les grandes ni dans les petites choses : J’accepte tout indifféremment de la main de Dieu, sans rien examiner, dit-il.

Celui qui pratique cette soumission acquiert, à chaque instant, des trésors inestimables et en peu de jours, il amasse plus de richesses que d’autres en plusieurs années et par beaucoup de travail (…) Non seulement cette conformité de notre volonté avec celle de Dieu nous sanctifie, mais encore elle nous rend heureux(…) et elle fait de la terre un paradis anticipé, elle est l’acte le plus parfait de la charité. (J-B Saint-Jure)

C’est une manière révolutionnaire de penser et de vivre que le Christ a introduite au sein de l’humanité comme Chemin vers le bonheur. Alors seulement, sur les bases de cette union à Dieu dans l’instant présent, l’homme peut agir. Il ne sera plus dans la réaction selon les caprices de son « moi », mais dans l’agir divin, selon la volonté de Dieu. Tous ceux qui ont cette pratique, ont ensemencé l’Histoire en profondeur et ne cessent de l’illuminer de l’intérieur, même des siècles après leur mort. Un acte de vigilance totale met en mouvement toute la création !

Le « Fiat » de Marie engendre le commencement absolu au sein des temps…Laissons Marie prononcer son propre « oui » en nous. Elle l’exerce en rendant grâces sans cesse : Mon âme magnifie le Seigneur et mon esprit est ravi de joie en Dieu mon Sauveur ! C’est un fabuleux lâcher-prise au coeur de la vie. Je commence à l’instant même : je détends mes épaules complètement, je respire par le ventre et me centre dans le bassin, je suis conscient de mon corps que j’habite et je m’abandonne tout entier à Dieu. Je suis libre de tout souci, Dieu est Dieu, Il prend mes affaires en Ses mains… Je saute aujourd’hui hors de ma vieille vie !

Père Alphonse et Rachel


Prière :

Donnez-moi la mort, donnez-moi la vie :
Donnez-moi santé ou maladie,
Honneur ou déshonneur donnez-moi.
Donnez-moi la guerre, ou une paix accrue,
La faiblesse ou la force accomplie,
Puisque à tout je dis oui.
Donnez-moi richesse ou pauvreté,
Donnez-moi consolation ou désolation,
Donnez-moi allégresse ou tristesse,
Donnez-moi l’enfer, ou donnez-moi le ciel…
Puisque je me suis rendue à merci…
Qu’ordonnez-Vous qu’il soit fait de moi ?


Sainte Thérèse d’Avila (XVI°siècle)


Texte à méditer :

" Le grand et solide fondement de la vie spirituelle est de se donner à Dieu pour être le sujet de son bon plaisir pour tout, à l’intérieur et à l’extérieur, et de s’oublier si bien ensuite qu’on se regarde comme une choses livrée et vendue, à laquelle on n’a plus aucun droit, de sorte que tout est pour le bon plaisir de Dieu, de façon qu’il fasse toute notre joie et que son bonheur et sa gloire, son être fassent notre unique bien. Ce fondement posé, l’âme n’a qu’à passer toute sa vie à se réjouir de ce que Dieu est Dieu, laissant son propre être tellement à son bon plaisir que le contentement soit égal de faire ceci ou cela ou le contraire, selon que son bon plaisir en disposera, ne faisant aucune réflexion sur l’usage que ce bon plaisir en fait. »

(Jean-Pierre de Caussade, 1861)